Aime ton chanteur comme toi-même

Aime ton chanteur comme toi-même

Le pianiste joue trop fort. D'accord, mais aime-t-il son partenaire comme il le faudrait?

  Une expérience très désagréable m'attendait en la demeure d'une chanteuse qui m'avait "commandé", en sa qualité d'amatrice fortunée ou bien-mariée. Je dois dire que, grâce à elle, le paiement de mon loyer était assuré. Ma vie à ses côtés comportait des dangers: elle était également plutôt bien fournie en connaissances musicales. Ses moyens financiers et artistiques lui donnaient une assurance redoutable. Un jour, elle me raconta comment, après que Coenraad V. Bos avait joué l'introduction  à "Die Allmacht", elle lui ordonna de la jouer à nouveau, et bien, cette fois. "Etes-vous en train de m'enseigner comment je dois jouer Schubert?" demanda Bos, stupéfait. "Je souhaiterais que vous jouiez cette introduction comme Schubert l'aurait fait", fut sa magnifique réponse. […]

  Chacune de mes visites apportait son lot d'humiliations. […] Mais la goutte d'eau qui fit déborder le vase, ce fut lorsqu'elle me déclara, après une discussion animée, que nul ne pouvait jouer pour elle sans développer un sentiment amoureux. "Est-ce qu'on attend de moi que je m'éprenne de tous ceux pour qui je joue?" lui demandai-je. "Dans ce cas, je devrais plutôt ouvrir un club échangiste."

***

  I had to journey to the house of one singer, an amateur, and my experience with her was most distasteful. She was extremely wealthy, or at least her husband was, and my twice-weekly visits to her mansion paid the rent. I suppose the little knowledge she had was dangerous, for it persuaded her she knew everything. Backed by her wealth, overwhelmingly arrogant, she told me once how, after Coenraad V. Bos had played the pianoforte introduction to "die Allmacht", she ordered him to play it again and to play it properly. "Are you teaching me to play Schubert?" asked the astounded Bos. "I want you to play it as Schubert wanted it," was the grandiose reply. [...] A felling of degradation came over me whenever I visited her. [...] But when, after some heated argument with me she declared it was impossible for anyone to play for her who was not in love with her, I felt this was the last straw. Was I supposed, I asked her, to fall in love with everyone for whom I played? If so, my studio would be known as an Agapemone.

Gerald Moore, Am I Too Loud, A Musical Autobiography, New York, The Macmillan Company, 1962, pp. 72-73.

Pas de commentaire encore
Recherche